un synthèse sur treize années

Cette synthèse aborde les différents aspects de la vie du colonel de Pelly. Il s'agit principalement de sa vie sociale, de ses relations avec ses parents, ses amis, le clergé, ses fournisseurs et ses clients, de ses voyages, de son rôle de maire. Quelques aspects plus intimes comme ses maladies, ses revenus ou ses loisirs sont également abordés.

 

Synthèse des carnets du colonel de Pelly (période 1856-1869)

 

Table des matières

Introduction

Préambule et contexte

La famille

le conflit entre les deux frères

Les amis

Le monde militaire

Le clergé et la religion

Le rattachement de la Savoie à la France

Le personnel

les voyages

le vigneron

Alpignan

Le maire

Les lectures et les loisirs

Le temps qu'il fait

La santé

Les dépenses et les revenus

L'expression des sentiments

 

 

Introduction

 

Ces carnets sont d'abord des carnets de comptes sans être des livres comptables pour autant, ils ne présentent donc pas les traditionnelles colonnes « recettes » et « dépenses ». Le colonel note cependant soigneusement ses achats et les dépenses afférentes, ce qu'il a livré, ce qu'on lui doit, ce qu'il prête mais également ses déplacements et beaucoup de petits faits quotidiens comme les visites ou les courriers qu'il envoie où qu'il reçoit.

Il est très précis, très souvent les prix sont ramenés à une valeur unitaire, les horaires de départ et d'arrivée des transports publics bien indiqués, le nom des visiteurs et des fournisseurs est précisé, le nombre de baignades aux Usses ou même de sangsues appliquées est dénombré ! C'est cette minutie, toute militaire, qui permet de tirer de ces carnets beaucoup d'informations relatives à la vie quotidienne d'un aristocrate sexagénaire, retiré de l'armée mais encore très actif...

Les carnets du colonel ne couvrent que la période de 1856-1869. Ils sont lacunaires dans la mesure où pendant sept de ses huit séjours en Piémont nous ne disposons pas de ces carnets.

Le colonel s'en tient aux faits, on ne trouve dans ses écrits ni louange ni critique, et rarement une opinion exprimée. Ce n'est donc qu'en « filigrane » des faits relatés que j'ai déduit ce que j'estime être le point de vue du colonel.

Les carnets eux-mêmes, pour être rendus plus intelligibles, ont été largement annotés par mes soins en fonction d'autres sources.

 

 

 

Préambule et contexte

 

Claude Marie de Pelly, le futur colonel, est l'aîné d'une famille de cinq enfants. Son père Claude François (1753-1824) fût capitaine puis lieutenant-colonel dans les armées sardes, descendant lui-même d'une longue lignée d'aristocrates, militaires, seigneurs de Pelly, de Vencières et de Bassy.

Sa mère Célestine-Anthelmette de Savoiroux (1769-1851) était également d'origine noble, elle a apporté en dot la propriété de Chilly1. La famille est marquée par les événements de la période révolutionnaire. Un oncle de Claude Marie, Joseph de Pelly est tué à Annecy lors des événements d'août 1793 (menace de contre offensive sarde et soulèvement contre le régime révolutionnaire). Un autre frère de son père, Jean-Louis, prêtre, n'accepte pas la constitution civile du clergé et émigre. Si le château des de Pelly n'a pas été vendu comme bien national c'est parce que le grand-père de Claude Marie avait eu l'astuce de donner ce bien à son fils Claude François dont le statut d'émigré était discutable puisqu'il servait dans les armées sardes de longue date. Ce grand-père, couché sur la liste des émigrés, avait quitté la Savoie après la mort tragique de son fils Joseph en 1793, tué lors d'une tentative avortée de retour des troupes piémontaises en Savoie, et vivait misérablement au fort de Bard ou selon la correspondance échangée avec son fils Claude-François il ne disposait pas même d'un lit2. Le château, confisqué aux de Pelly sera administré par la commune de Desingy qui va le louer. La mère du colonel remportera l'enchère pour devenir locataire des biens de son mari ! On raconte que personne n'aurait osé surenchérir...

La carrière militaire de Claude Marie aurait débuté dans les armées impériales puis il a fait dans les armées sardes la carrière suivante3 :

 

  • 26 octobre 1814, sous-lieutenant effectif dans le régiment Savoie cavalerie;
  • 30 décembre 1815, lieutenant;
  • 13 septembre 1829, capitaine;
  • 25 janvier 1831, major;
  • 3 novembre 1834, passé lieutenant colonel dans le régiment Aoste cavalerie;
  • 13 juin 1838 promu colonel et passé commandant au régiment des chevau-légers de Sardaigne où il se trouve encore en 18394;
  • 6 novembre 1846, retraité;
  • 1er janvier 1849, passé en expectative avec la paie annuelle de £ 3 300.

Décoré le 7 mai 1838 de la croix de chevalier de l’Ordre des S.S. Maurice et Lazare pour ses honorables services de colonel. Il se serait ensuite distingué dans la guerre de Lombardie en 1848-1849 (alors qu'il était en retraite ?). Retraité avec une pension de 2 550 F5 il reste très probablement quelques années à Turin où plus exactement à Alpignan (Alpignano), une bourgade de 1 862 habitants (recensement de 1861), où il possède une résidence. Il rémunère là bas deux "permanents" : une gouvernante et un jardinier.

Il vient s'établir en Savoie, au moins à temps partiel, pour gérer ses affaires, au plus tard comme l'indique son carnet en mai 1856.

En 1858, la population des divers agglomérations était très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Seyssel avait 1 555 habitants, Desingy 1 442 habitants, Frangy 1 330 habitants.

Aix-les-Bains 4 105 habitants, Rumilly 4 190 habitants. Annecy avec10 374 habitants et surtout Chambéry 19 035 habitants sont des centres plus importants. Le colonel se rend assez fréquemment dans ces agglomérations.

En 1861 la population de Desingy (1 522 h) dépasse même un peu celle de Frangy (1 362 h) et de Seyssel (1 410 h). Desingy, éclaté en une bonne dizaine de hameaux est seulement un village alors que Frangy et surtout Seyssel sont des centres d'activités plus importants.

 

Au début du carnet c'est Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne, qui règne sur le Piémont et sur la Savoie. En guerre contre l'Autriche, il reçoit l'appui de Napoléon III. Puis en 1860, c'est le rattachement de la Savoie à la France. L'organisation administrative change, il faut désormais traiter avec les préfets et sous-préfets et non avec l'intendant sarde. L'établissement d'une zone franche en limite de Desingy amène toute une population de douaniers pour contrôler l'entrée des marchandises sur le territoire douanier français. Il y a cependant une chose qui ne change pas, c'est la monnaie, en effet depuis 1816 la livre de Savoie et le franc de France avaient la même valeur.

Le colonel, qui a connu l'occupation française de la période révolutionnaire et du 1er empire, et dont la famille en a lourdement subi les conséquences, n'évoque que très marginalement ce changement politique pourtant majeur.

 

 

La famille

 

Le colonel (1793-1869) est d'une famille de militaires, essentiellement alliée avec d'autres familles de militaires.

Aîné d'une fratrie de quatre enfants le colonel ne s'entend pas avec son seul frère alors qu'il a d'excellentes relations avec les familles de ses sœurs.

 

Le frère, Colomban-Félix de Pelly (1801-1871), célibataire lui aussi, avocat de profession, mais en réalité sans véritable emploi autre que celui de gérer depuis 1831 les propriétés léguées par les parents de Pelly il ne semble pas pressé de sortir d'une indivision qui lui convient. Si bien qu'il faudra une décision de justice en 18616 pour ordonner le partage qui sera effectif au 1er mars 1864. Colomban part alors s’installer à Chilly. A son décès Colomban Félix léguera tout son patrimoine aux pauvres de Desingy. On peut encore voir sa tombe au cimetière de Desingy.

 

Georgine de Pelly (1803-1856), l'aînée des deux sœurs a fait en 1823 un beau mariage avec un notable de la région, militaire de surcroît : Claude Pie Amédé Bastian (1798-1872), surnommé le chevalier Bastian. Son père était Claude François Bastian (1767-1838), maire de Frangy, grand propriétaire foncier, notaire et homme politique qui a joué un rôle régional important pendant la Révolution et sous le premier empire. Il a été notamment commissaire aux biens nationaux à Carouge.

Mère de cinq garçons, Georgine meurt en 1856 alors que le colonel est en Piémont. Dès son retour, une de ses premières visites sera pour son beau-frère, « J'ai été trouver Bastian à la Fléchère7, triste visite »8 et ses neveux : Claude, François, Eugène et Félix. Justin le cinquième garçon étant hélas décédé prématurément en 1847.

Les Bastian9 de Frangy, sont a l'évidence la plus proche famille du colonel. Il est invité très fréquemment aussi bien à Frangy où réside le chevalier Bastian, que le colonel appelle gentiment « le papa Bastian », qu'à Planaz (hameau de Desingy) « retourné à Frangy et le lendemain dîné à la Fléchère et retourné à la maison par une boue affreuse après avoir goûté à Planaz avec Bastian qui a répondu pour moi à la lettre de l'avocat Dufour »10 , ou encore à Coucy,  Vanzy et  Lornay où les Bastian sont également propriétaires.

A l'inverse il invite sa parenté Bastian et l'on ne peut plus compter le nombre de visites que lui rendent ses neveux Bastian « J'ai eu à dîner tous les messieurs Bastian. »11.

Le colonel assiste à tous les événements de la famille Bastian. Il est invité fréquemment, par exemple « J'ai reçu une lettre de Bastian qui m'invite d'aller le trouver aux Bains de la Caille où il se trouvera bientôt avec sa famille. »12, où on lui présente la future femme de son neveu François et la famille de celle-ci, il est invité à la signature des contrats de mariage d'Eugène (1858) et de Félix le 9 juin 1869. « J'ai été à Lornay au contrat de Félix avec Mlle Gaymoz13, retourné avec Alix jusqu'à Châtel. »

Après le décès prématuré de François Bastian qui meurt a 35 ans, il continuera d'entretenir d'excellentes relations avec la veuve de celui-ci, « madame Alix ». Très souvent ils échangent de menus cadeaux : pot de moutarde pour lui, graines de tomates et de pois chiches pour elle... « J'ai reçu d'Alix gibiers et bonne année »14. Alix Bastian née Collomb, était la fille d'un notaire d'Annecy et une petite cousine du colonel, sa grand-mère étant une cousine germaine du colonel.

Claude Bastian, son neveu capitaine dans l'armée sarde puis dans l'armée française après l'annexion de la Savoie par la France ne manque jamais lors de son passage à Frangy de rendre visite à son oncle. . « Le capitaine15 est venu à la maison pendant mon absence et m'a laissé sa photographie »16. En réalité Claude Bastian avait été sinon « pistonné » du moins informé par son oncle en 1839 des conditions pour rentrer dans la marine sarde et les deux hommes devaient être très proches. Même après que Claude eût fait le choix de l'armée française le colonel essaiera, mais en vain, d'agir auprès d'un général savoyard de ses amis passé lui aussi dans l'armée française.

Fréquemment le colonel se déplace avec le « papa Bastian » ou un de ses fils, notamment à Annecy ou lorsqu'ils vont ensemble rendre visite à la famille Michaud. « Couché à Frangy, parti le lendemain pour Annecy dans la voiture de Bastian avec lui et Laravoire …..retourné le 29 avec Bastian par Seyssel »17

Le colonel, qui comme Bastian est maire, le retrouve lors de visites au préfet ou au sous-préfet, lors de commissions diverses (conseils de révision, tirage au sort, etc..)

 

 

Sophie de Pelly (1807-1881), la jeune sœur épouse en 1831 Pierre Marie François Michaud (1784-1863). Michaud est un neveu par alliance d'une des grand-tantes de Sophie (côté maternel Savoiroux de Bracorens). Pierre Marie François a 23 ans de plus que Sophie, c'est un capitaine retraité qui s'est illustré dans les armées françaises en participant à de nombreuses batailles du premier empire (décoré de la légion d'honneur en 1813). Le couple vit aux Plagnes, un hameau de la commune de La Biolle. Sophie a également cinq enfants Célestine, Claude, Félix,, Cléonice et Joséphine. Tous sont souvent cités dans le carnet du colonel et ont également d'excellentes relations avec leur oncle pour lequel ils ont beaucoup d'égards, Claude par exemple lui apporte du gibier. Cléonice l'invite à son mariage.

Le colonel leur rend visite : « Arrivé aux Plagnes par la voiture de Rumilly, par un déluge. »18 «  Parti pour les Plagnes par la diligence.... ….. où je suis resté jusqu'au matin du 15. Je suis retourné à la maison à pied, par la Chambotte et dîné au cellier19 »20. Ses visites seul ou accompagné du « papa Bastian » sont nombreuses. Il mentionne neuf visites aux Plagnes entre juillet 1856 et novembre 1864.

Les Michaud fréquentent les Bastian « . Dîné à La Fléchère où il y avait Félix et Cléonice Michaud, Eugène malade à Genève et Félix Bastian a une entorse. »21et s'arrêtent généralement chez leur oncle de Pelly «J'ai été à la foire de Frangy, retourné le même jour. J'y ai laissé les Michaud »22

 On trouvera dans la galerie de photos les portraits de Pierre François et Sophie Michaud.

 

Au delà de cette famille proche le colonel a aussi quelques cousins qu'il voit beaucoup plus rarement, on peut citer son cousin germain Joson Mauris, militaire comme lui, ou encore les de Reydet dont « madame Alix » est une descendante.

La pratique des mariages décidés par les parents en fonction de l'intérêt des familles font que très souvent on va chercher un conjoint dans un réseau de familles déjà alliées, renforçant ainsi les liens existants.

 

 

Le conflit entre les deux frères

 

C'est un événement majeur qui occupe beaucoup le colonel pendant huit ans.

En 1824, le père du colonel meurt. Très occupé par son travail de militaire, le futur colonel donne en 1829 une procuration à son frère pour gérer leurs biens communs. Leur mère vit encore, c'est une femme assez âgée, elle a 60 ans, mais énergique, qui a montré ses capacités de gestionnaire pendant la Révolution23 et il est probable qu'elle gère avec son jeune fils de 23 ans les propriétés de Pelly.

Les filles Georgine et Sophie ont été désintéressées de l'héritage de leurs parents au moment de leurs contrat dotaux en 1823 et 1831. Les deux frères restent donc seuls héritiers de leurs parents, et bien que le testament du père attribue un quart de ses biens hors-part à son fils aîné, les deux frères restent indivis. Les années passent sans problème particulier, d'autant plus que Claude Marie possède près de Turin, à Alpignan, une propriété où il aime se reposer lors de ses permissions et recevoir ses amis.

En 1849, Claude Marie devenu colonel a 56 ans, il est versé dans la réserve, c'est pour lui l'heure de la retraite. On peut supposer que dans un premier temps il garde ses habitudes qui sont surtout à Alpignan.

Le 19 mars 1851, sa mère, Célestine de Savoiroux meurt. Et bientôt le colonel rentre en conflit avec son frère. Depuis plus de 20 ans celui-ci avait pris ses habitudes, célibataire, avocat quelques temps à Chambéry mais sans emploi depuis très longtemps, il vivait avec sa mère au château de Pelly, gérant à sa guise les propriétés familiales, prenant probablement l'ascendant sur sa mère vieillissante. Il ne se soucie guère de son frère, celui-ci est loin et de toutes façons lui a donné « sa procure » en 1829.

Mais le colonel est un homme énergique, il aime les situations claires, cette indivision ne lui plaît pas. Son frère a une réputation de philanthrope, d'amis des pauvres, il leur léguera d'ailleurs tous ses biens.

Certains fermiers ne paient pas leur fermages, on ne sait trop pour quelles raisons : cadeau de Colomban-Félix qui compatit à leurs difficultés ? Autre raison ? Le colonel veut tirer tout cela au clair, il veut partager et sortir de cette indivision où il n'a pas son mot à dire du fait de la procuration donnée. Il en parle à son frère qui élude la question; le ton monte «Dispute avec l'animal pour la ….. de la maison. Assez inutile »24. Finalement le colonel décide de demander à la justice de se prononcer. Il souhaite prendre un avocat, demande conseil à Bastian qui lui propose de s'adresser à son neveu, François Joseph Jacquemard, un avoué de 34 ans qui exerce justement ses talents à St Julien-en-Genevois, là où se trouve le tribunal.

Le colonel après avoir rassemblé quelques papiers « J'ai été à Rumilly dans l'après-midi. Le lendemain j'ai été à Savoiroux25 avec Laravoire, ensuite chez Dufour où j'ai mes papiers pour le réquisitoire qu'il enverra à Jacquemard26 à St Julien aussitôt par la poste. » 27, lui écrit et lui donne mandat pour le représenter dans cette affaire « J'ai rédigé la procure à Jacquemard par Mermier28». Leurs échanges de courriers seront ensuite assez nombreux « J'ai écrit à mon procureur à St Julien29. », et ils se rencontrent « Parti pour St Julien pour l'arrivée du préfet avec François Bastian. Vu Jacquemard et retourné le soir à pied de Frangy. »30

Dans son audience du 23 juillet 1861, le tribunal de St Julien ordonne qu'il soit procédé à un inventaire des biens des de Pelly et qu'il soit attribué immédiatement, conformément au testament, ¼ des biens de son père au colonel Claude-Marie de Pelly. Des experts sont nommés et doivent prêter serment devant le juge de Seyssel.

Mais « l'avocat » comme l'appelle ironiquement son frère n'entend pas se laisser faire aussi aisément. Il conteste les experts nommés et par l'intermédiaire de Duboin son mandataire présente une nouvelle requête « Reçu une lettre de Duboin par laquelle il refuse les experts et en a nommé d'autres »31 dont il sera débouté le 30 septembre 1861 par le tribunal de St Julien «J'ai reçu de Jacquemard une lettre. Les experts …. ont été admis et il me demande des fonds »32. Il faut dire que l'équipe d'experts désignés est composé du Dr Camille de Lavenay, ami du colonel qui a même été son adjoint à la mairie de Desingy, de « Joson » Mermier, en fait François Joseph Mermier33, de Vovray, un agriculteur important et reconnu, sans doute recommandé par Bastian dont il est le cousin germain. Le troisième expert est Nicolas Derisoud, propriétaire à Desingy et dont on ne peut dire s'il est proche du colonel ou de l'avocat...ce qui est d'ailleurs vrai aussi pour les autres experts dont on ne connaît pas les relations avec Colomban !

François Joseph Mermier va tenter de se retirer de cette affaire, « J'ai reçu une lettre de refus de Mermier Joson34 pour mon expertise. »35 mais finalement il acceptera.

Les experts prêtent donc serment à Seyssel et doivent commencer leur expertise dans la foulée, mais Colomban s'y oppose « Réunion à Planaz pour l'expertise où on n'a rien pu faire le fou ayant insulté les experts qui ont verbalisé36» et ils ne peuvent, dans un premier temps, rien faire.

La seconde tentative sera la bonne mais il faudra attendre plus d'un an après la décision du tribunal, soit le 6 novembre 1862 pour commencer l'expertise « J'ai dîné à Seyssel pour la nomination du jury. L'expertise à commencé aujourd'hui par la Chautagne ». Celle-ci se terminera vers le 20 novembre « Les experts ont fini leur travail par Pelly. Assistés de Gicquet et Berthet fils géomètre. ». C'est une première étape, le colonel respire, il ira d'ailleurs passer l'hiver en Piémont37 et ne reviendra que le 25 juin 1863.

L'affaire n'est pas terminée pour autant et occupe encore les esprits «  Conseil municipal à Desingy où j'ai parlé à Lavenay pour l'expertise »38. Il faut rédiger un projet de partage « J'ai passé deux jours à Frangy pour le partage rédigé par Lavenay, chef des experts, grand et gel affreux. »39 . Ce projet déroge aux attendus du tribunal qui avait ordonné que les biens du père soit partagé en quatre lots dont un aurait été attribué au colonel par tirage au sort. Les trois autres lots étant tous divisés en deux, pour être attribués par moitié à chaque frère. Delavenay propose, plus intelligemment, avec l'accord des intéressés, de procéder autrement c'est-à-dire à l'amiable, ce que les deux frères acceptent. On choisit un notaire « Dîné chez Lavenay à Seyssel avec le notaire Convert40 pour le partage sous-seing privé. »41. L'affaire et assez rondement menée et le 14 janvier suivant « Nous avons définitivement passé le contrat de partage chez le notaire Convert à Seyssel. ». Mais il faudra encore arrêter les comptes, le 2 février le colonel écrit «  J'ai écrit à Jacquemard pour le partage et rendement de comptes. » et le 1er mars 1864 le colonel peut enfin écrire «  D'après le partage je suis entré aujourd'hui en possession de mes avoirs ». Le 27 avril suivant il écrit encore à Jacquemard au sujet du « rendement des comptes » mais cela ne l'empêche pas de partir le 2 mai pour Alpignan d'où il reviendra le 19 juillet accompagné de sa gouvernante, Ursule. Il attend d'elle de l'aide pour réaménager le château de Pelly, partiellement démeublé, et sans plus attendre le 19 septembre il part à Lyon, en train, avec sa gouvernante pour effectuer de nombreux achats. Le 7 novembre c'est un grand soulagement « L'avocat a quitté la maison pour Chilly42 », Claude Marie, enfin chez lui, va poursuivre les travaux, continuer ses achats de meubles et embaucher une nouvelle servante pour pallier à la défection de Naine qui suit Colomban-Félix à Chilly.

Finalement les relations entre les deux frères vont s'améliorer et « J'ai dîné avec mon frère pour le rendement de compte. Quittance mutuelle par Martin notaire, il est revenu avec moi, couché à la maison »43. Ce sera l 'épilogue d'une affaire qui aura duré presque dix ans.

A l'issu du partage à l'amiable le colonel gardera les biens venant essentiellement de son père, à savoir le château de Pelly où il réside, ainsi que les deux fermes associées de Pelly et de Moucherin (84 ha). Les moulins du hameau de Vencières, la ferme de Vallod (35,5 ha), les terres et vignobles de Motz dont le cellier de Chateaufort (environ 12 ha), plus un terrain situé à Serrières-en-Chautagne., soit en tout 130 hectares Son frère qui hérite plutôt des biens maternels reçoit toutes les propriétés de Chilly : le château de la Cour, la ferme associée, et la ferme de Grange-Bouillet. Et aussi un peu de vignoble à Vessière (Motz), la ferme de Crempigny et quelques terrains à Serrières-en-Chautagne soit environ 100 hectares.

Les fermages annuels tirés de ces propriétés par chacun d'eux sont d'environ 1 600 F, auquel il faut ajouter les ventes de vin qui les bonnes années peuvent s'élever à 1 800 F pour Claude Marie et à 1200 F pour Colomban.

Au dire des experts la part du colonel a été estimée à 207 150 F et celle de son frère à 152 000 F44.

 

 

Les amis 

 

On a vu que le colonel qui avait des relations orageuses avec son frère et des liens très étroits et amicaux avec les familles de ses sœurs épouses Bastian et Michaud. Il avait également de nombreux amis.

Au nombre de ces amis il faut citer en premier la famille Lassalle, de Seyssel. Cette famille dont on trouvera en annexe A1 un arbre généalogique simplifié descend du dessinateur Philippe de Lassalle, connu pour ses innovations dans le domaine du textile, et dont une rue de Lyon porte encore le nom. Les Lassalle sont alliés avec les de Génissiaz et avec Prosper Croset qui est également un vieil ami du colonel. Ce sont des propriétaires terriens qui ont pignon sur rue. mais ce sont surtout surtout des industriels de l'asphalte. Le colonel fréquente surtout deux frères Lassalle : Louis, maire de Seyssel et Philippe.

Très fréquemment le colonel couche chez eux à Seyssel « J'ai été en Chautagne avec Lassalle. Couché à Seyssel et retourné le 8 au soir. »45 «  Couché chez Lassalle qui m'a conduit jusqu'à Châtel en allant à Annecy d'où je suis venu ici à pied. »46. Comme Philippe Lasalle a fait construire une belle demeure à Cologny, un hameau de Seyssel situé sur la route entre Seyssel et Desingy, le colonel ne manque pas de lui rendre visite lors de ses allées et venues à Seyssel : « Transvasé le Chantemerle et retourné à la maison. Soupé à Cologny »47 « ...retourné le soir par Cologny où j'ai mangé la soupe. »48 et réciproquement « J'ai eu hier la visite de Philippe Lassalle et de son épouse »49 « J'ai eu à dîner les deux Lassalle Philippe et Louis. Janus50 a passé le matin. »51.

Lors d'un périple ferroviaire qui l'emmène jusqu'à Mâcon, Claude Marie est accompagné de Philippe Lassalle.

Pierre Clavel, instituteur à Desingy de 1861 à 1867, devient rapidement un bon ami du colonel. Ils se promènent ensemble « J'ai fait le tour des gorges du Fier avec Clavel par St André et Seyssel. »52 « J'ai été avec Clavel au Parc à Pyremont53 par la Semine, retourné par la voie ferrée à Seyssel »54. Ils se rendent mutuellement service «  J'ai fait payer par Clavel l'entonnoir au tonnelier de Frangy »55. Clavel se charge de certains règlements pour le compte du colonel empêché et celui-ci lui prête quelque argent à occasion d'un voyage ou de départ en congé.

Certains prêtres en poste à Desingy, comme l'abbé Michaud ou l'abbé Perret, sont devenus également de véritables amis avec lesquels le colonel correspond par courrier, ou échange des cadeaux « J'ai reçu aujourd'hui de l'abbé Perret56 4 reblochons venant du Grand Bornand. »57. Le vicaire général Buttet, locataire des Bastian à Annecy est également un ami du colonel.

On peut citer encore Jules de Gavand, un neveu du papa Bastian, chez qui le colonel couche lors de son passage à Rumilly « ...venu coucher le soir aux Balmes58, maison de Gavand. »59 ou encore la famille de l'inspecteur des douanes Dubois dans laquelle le colonel est invité « J'ai dîné avec le curé à Mons chez Mme Dubois Aimé60, il y avait le papa Bastian. »61.

Le colonel mène une vie sociale assez développée fréquentant surtout la « bonne société », le clergé, et les fonctionnaires.

 

 

Le monde militaire

 

Le monde militaire est très peu évoqué par le colonel. Il rencontre une ou deux fois de vieux camarades dont on peut supposer que ce sont des militaires « Dîné chez le grand vicaire Buttet. J'ai vu Joson, Mauris62 et plusieurs vieux camarades, retourné à Frangy »63. Il évoque le 28 juin 1866 le désastre de Custosa « Déclaration de guerre à l'Autriche par l'Italie qui a été battue le 24 courant à Custosa. Villaret mort et Cériale64 généraux, blessé ainsi que le prince Amédée65 légèrement. ». Il entretient une correspondance66 avec le général Philibert Mollard, général savoyard au service de Piémont-Sardaigne passé aide de camp de l'empereur Napoléon III à Paris au moment du rattachement. Il me paraît presque certain que ces échanges épistolaires concernent la promotion du capitaine Claude Bastian, qui optant pour la France en 1860 n'aura aucun avancement. Il passera donc dans la garde mobile, comme commandant, puis après la guerre de 1870, alors qu'il n'a que 46 ans, se retirera dans sa propriété de l'ancien prieuré de Chêne-en-Semine (Haute-Savoie).

La seule allusion que le colonel fait à son passé militaire survient lorsque le 30 juillet 1864 «  J'ai eu la visite de François. Remis mon grand sabre pour sa galerie d'armée ». En effet François Bastian, son neveu, collectionnait les armes dans son château de la Fléchère à Vanzy.

 

 

Le clergé et la religion

Le colonel dîne à la cure très fréquemment, comme ce 6 juin 1857« Nous avons célébré la St Claude à la cure de Desingy, magnifique dîné. ». Assez souvent avec des tiers comme le papa Bastian, le Dr Lavenay, le chef des douanes « Dîné à la cure à l'occasion de la vaccine par Lavernay»67 « J'ai dîné à la cure avec les Bastian. »68 « Belle Saint Claude à la cure, les Bastian, les Pelly, les Gavand, les Dubois et Petit69. »70 ou des prêtres d'autres paroisses. Toutes les occasions sont bonnes : une fois c'est pour manger un lièvre, une autre fois une perdrix, une autre fois parce que c'est le passage d'un missionnaire, ou le conseil de fabrique « J'ai dîné à la cure pour le conseil de fabrique71 » ou encore comme en 1861 parce que c'est Noël ou Pâques (en 1864) ou encore parce qu'il y a des élections «Dîné à la cure pour l'élection d'arrondissement. »72 .

Il ne se contente pas de dîner mais parfois il goûte ou il soupe à la cure. On a l'impression qu'il est un peu chez lui au presbytère. Il échange quelques cadeaux avec les servantes de la cure : Claudine et Marie : « Celles de la cure m'ont donné un demi-persillié73, rissoles74 et tourtes. 20 F Marie, 5 F Claudine75. »76, et n'oublie pas de généreuses77 étrennes : « Bonne-mains au facteur 2,50 F. Aux servantes de la cure 15 F et 10 F = 25 F. »78. Il reçoit également le curé à sa table au château de Pelly.

Après le décès du curé Jean-François Veuillet en 1863 et le départ la même année du vicaire Antoine Favre, il semble un peu moins assidu, mais il commerce avec le nouveau curé Déletraz, un excellent client, auquel il vendra 3 300 litres de vin de 1865 à 1869 dont plus de 1 100 litres pour la seule année 1867 !

Lors de ses voyages à Annecy il déjeune plusieurs fois chez le grand vicaire Buttet dont il semble proche. Lorsque l'évêque vient pour la confirmation à Desingy, le colonel en sa qualité de maire se rend à sa rencontre « pour le complimenter »79.

On ne peut qu'être frappé, par rapport à notre époque, de l'étroitesse des liens entre le maire et le curé. Verrais-t-on aujourd'hui un maire dîner avec le curé un jour d'élection cantonale ?

Le colonel a donc de bonnes relations avec le clergé dont il partageait les idées, mais est il pour autant un bon chrétien ? Bien qu'a aucun moment il n'indique dans son carnet sa participation à une messe, sans doute parce que se rendre aux offices lui paraissait comme allant de soi, il n'est pas douteux que le colonel pratiquait sa religion.

En juin 1858, il assiste à l'inauguration de la « madone du pont » à Seyssel, ce n'est pas là l'attitude d'un mécréant.

Le colonel suit la mission lorsqu'elle vient à Desingy « J'ai fini ma mission et les 3 communions de toute la paroisse »80 et encore « Grande procession pour la bénédiction de la croix de la mission de 186181 »82. Il respecte la coutume du pain-béni «  Idem pour 27 livres et demi de pain béni j'ai payé huit francs et demi »83. Il achète un cierge pascal et même des hosties. S'il mange gras pendant le carême, il s'en dédouane auprès du curé « Donné au curé 5 F pour manger gras à carême84. »85 . Il accepte d'être le parrain d'un fils de son fermier Charvet. C'est donc à l'évidence un catholique pratiquant.

 

 

Le rattachement de la Savoie à la France

 

Il y a peu être un point sur lequel il n'était pas très en accord avec le clergé, c'est la question du rattachement à la France de la Savoie. En effet, bien qu'il ne formule pas de critique explicite, on le sent réticent envers la France de Napoléon III. Il refuse assez sèchement d'accompagner un de ses amis « J'ai reçu une lettre d'invitation de Louis Lassalle pour accompagner son père aux fêtes de Lyon pour le passage de l'empereur. Répondu non. »86. Alors que son frère se rend à Annecy lors de la tournée impériale en Savoie, « Il est parti pour voir Bonaparte qui doit arriver à Annecy dans l'après-midi d'aujourd'hui », lui  s'évite le déplacement.

Une phrase de son carnet peut être considérée comme une critique de la France « Est mort le sultan, roi d'Italie par la France87. »88. Il semble reprocher à la France son soutien à ce sultan. Il faut dire qu'il a constamment servi les ducs de Savoie, sauf peut être par contrainte au tout début de sa carrière, s'inscrivant ainsi dans une longue tradition militaire familiale, puisque son père et son grand-père et bien d'autres de Pelly avant eux servaient déjà la même dynastie.

Par ailleurs, le manque d'avancement, après que celui-ci eût fait le choix de la France, de son neveu le capitaine Claude Bastian, n'a que pu le conforter dans sa méfiance vis-à-vis de la France.

Il n a pas pécuniairement pâti de l'Annexion « J'ai été aux noces Chaumontet et ensuite à Annecy avec Bastian à la préfecture. J'ai retiré mes patentes de pension française contre la sarde. »89, puisque la France a continué à lui servir sa pension annuelle de 2 250 F, octroyée par le souverain sarde.

Une seule fois, Claude Marie voit l'empereur, c'est par hasard, lorsque celui-ci passe le Mt Cenis en revenant de Solférino. Le colonel est alors immobilisé au col suite à une mauvaise chute.

 

Le personnel

Le colonel, de par sa position sociale, et du fait qu'il avait deux résidences entre lesquelles il partageait son temps, employait plusieurs personnes à temps plein, ainsi que de la main d’œuvre temporaire.

 

A Alpignan, il a en la personne de Gustin, un homme de confiance, voire un régisseur, c'est à dire quelqu'un qui dirige la maison en son absence et qui donc a autorité sur le personnel. C'est quelqu'un qui sait parfaitement lire et écrire, au vu de la nombreuses correspondance échangée90 avec son employeur. Il rend compte au colonel « Reçu une lettre de Gustin qui me dit avoir acheté aux Moschetti 110 rupes de raisin à 29 sous la rupe, Chiaretini est sorti en août dernier. »91 ou fait des propositions «J'ai reçu une lettre de Gustin pour les raisins et le retour d'Ursule au 20 août. »92 auxquelles le colonel répond « J'ai répondu à Gustin en lui envoyant deux voglia de 165 F pour acheter des raisins. Porté la lettre à Seyssel dans l'après-midi et retourné tout de suite. »93, parfois la réponse est très rapide « J'ai reçu hier une lettre de Gustin, répondu aujourd'hui. »94. Les sommes qui sont confiées à Gustin peuvent être très importantes comme le 19 juillet 1864 avant son départ d'Alpignan « Dépôt à Gustin : 6 460 F. ». Ce qui laisse supposer quelques travaux ou achats importants gérés par Gustin. Le plus souvent le colonel, pour répondre à des demandes ponctuelles, va à la poste de Seyssel pour envoyer « un voglia95 » c'est-à-dire un mandat de 150 ou 200 F. Il peut arriver que Gustin bénéficie d'un prêt «  J'ai prêté cinq napoléons soit 100 F à Gustin pour sa tante Caroline Bocchetti la veuve. Rendu le 24 avril 1866. »96. Gustin, comme tous les employés bénéficie de quelques cadeaux, un gilet, une paire de pantoufles, un bonnet en soie, des bas, ou un frac :« J'ai donné à Gustin le frac97 anglais très fin et presque neuf que j'avais acheté au n°60. Il ne m'en reste que 8. »98. A examiner ses liens familiaux il semble que Gustin soit piémontais, il viendra en Savoie de janvier à octobre 1866, accompagnée d'Ursule la gouvernante d'Alpignan. Il accompagne le colonel dans certains de ses déplacements, par exemple à Annecy ou au château de la Fléchère (Vanzy) où il déjeune avec le colonel chez Alix la nièce de celui-ci.

Pendant son absence d'Alpignan, c'est Jacques Bosio, sans doute un domestique placé habituellement sous l'autorité de Gustin qui le remplace, au moins partiellement, puisque le colonel confie à Jacques « 120 F pour la taille ». Mais tout ne se passera pas pour le mieux puisque le 14 novembre 1867 «J'ai reçu une lettre de Gustin qui accuse Jacques (ndlr: Bosio) et son père pour se justifier. ». Il y avait donc manifestement un conflit entre les deux hommes.

Gustin reçoit 60 F par mois « 120 F pour ses deux mois de salaire et nourriture datant du 14 jour du départ. »99

Ursule en réalité Orsola Bochetto (1796-1882), veuve,  est la gouvernante du colonel, en résidence permanente à Alpignan - exceptions faites de deux séjours en Savoie, de mai 1864 à mi 1865, puis de janvier à octobre 1866- elle réside à Alpignan. Ses gages sont de 16 F par mois et à Alpigan elle est secondée par Rosine. Son rôle à Desingy sera important lorsqu'il s'agira d'équiper correctement le château de Pelly. Ursule est la mère de Gustin, de son vrai nom Agostino Baima (Turin 1821- Ivrea ? 1900).

 

A Desingy, le personnel permanent se compose de Mauris, un homme à tout faire qui chaque année part en Chautagne faire les vendanges à Châteaufort, « Mauris est revenu de Chautagne et m'a remis l'état des vins – Vencières 35 Barils – Châteaufort 45 Barils (et) 18 quarterons »100 ; « Mauris est parti pour les vendanges de Chautagne. Donné 10 F pour menues dépenses »101outre ses gages mensuels de 30 F, il bénéficie lui aussi de nombreux petits cadeaux : « J'ai donné à Maurice ma vielle veste de chasse en futaine, idem la toque et une vieille cravate foulard. »102; « J'ai donné à Mauris ma vieille anglaise en drap, couleur bronze étant usée et … »103, mais ce cadeau est détourné aussi il cherche une compensation « Donné à Mauris un vieux gilet pour remplacer l'anglaise retenue par la Marion. »104, le colonel offre également à Mauris du tabac « Donné six francs à Maurice pour tabac. »105.

Après 1866, Mauris n'est plus cité dans le carnet. Le colonel fait appel à des journaliers payés à la journée, c'est le cas du bersaglier cité de 1864 à 1868, et de Lachat, à partir de juillet 1866. Ce dernier qui travaille au jardin est payé un franc par jour de travail.

Pour tenir son ménage à Desingy le colonel emploie au moins deux femmes. Les premières années et jusqu'à son départ fin 1864 c'est Naine qui est la servante principale. Elle fait  office de gouvernante. On la voit exécuter des tâches de confiance, le colonel lui donne même procuration sans nécessité apparente « J'ai reçu de Naine pour remboursement et intérêts d'une rente de Marigny106...somme de bas pour ma moitié. La rente était de 500 F dont 44,50 F en frais + voyage de manière que je n'ai touché que 227,75 F. Je lui avait fait ma procure spéciale pour m'éviter le voyage de Rumilly. »107. A plusieurs reprises elle perçoit des sommes pour le compte des deux frères « J'ai reçu de Marie Veuillant pour cens de 1861 la somme de 43 F et en me payant celle de l'année prochaine 1862, je serai au courant Naine ayant reçu celle de 1859 et 1860 et celle de 1858 »108. Le colonel n'hésite pas à lui prêter de l'argent « J'ai prêté 120 F à Naine pour une dette à St Julien »109. Lorsque les deux frères sont réconciliés on voit reparaître Naine, ainsi le 9 juillet 1869 :«J'ai eu à dîner mon frère, Naine et les curés »

Les autres personnels féminins sont Louise Cuissard citée de mars à juillet 1865, puis Marie Mugnier qui semble la remplacer en août 1865 mais qui part à l'issue de sa période d'essai. Enfin, Jeannette qui entre au service du colonel le 6 juillet 1866 « Donné samedi dernier 4 courant à la Jeannette 8 F en acompte de ses gages. Son temps à commencé au 6 juillet dernier 1866. ». Elle est originaire de Duingt, comme Pierre Clavel, le jeune instituteur de Desingy, secrétaire de mairie et ami du colonel. Si ce n'est pas la sœur de Clavel c'est probablement quelqu'un qu'il a recommandé. Plusieurs éléments laissent à penser qu'il peut s'agir de la sœur de Pierre Clavel. Celle-ci, Jeanne Clavel (1835-1874) devient en effet vers 1870 l'épouse du douanier Benoît Desuzinge en poste à Vanzy c'est-à-dire tout près de Desingy. Par ailleurs à plusieurs reprises110 la famille Clavel vient en visite à Desingy et cela perdure alors111 que Pierre Clavel n'est plus en poste à Desingy mais au Sappey. Enfin la sœur de Pierre Clavel vient en visite à Desingy en novembre 1865, mais il se peut aussi que cette visite ait eu pour objet d'arranger le mariage de celle-ci à l'initiative de son frère.

Cette servante appointée à 10 F par mois restera à de Pelly jusqu'au décès du colonel. Il n'est pas ingrat envers elle, et les gratifications et cadeaux divers seront nombreux : «  Donné bonnemain à la Jeannette 20 F »112, « J'ai payé Jeannette pour tout le courant mars 20 F deux mois et je lui ai donné 30 F en récompense des soins qu'elle m'a donné pendant ma ma maladie pour s'acheter une belle robe. »113, le plus beau cadeau étant sans doute cette montre achetée à Chambéry : « J'ai payé pour une montre en argent pour la Jeannette 40 F »114 qui vient s'ajouter aux châles, robes, foulards, cache-nez, cravate, parapluie et autres chaussures fourrées qui lui sont offerts au fil du temps. Finalement Jeannette reçoit en deux ans (juillet 1866 à juillet 1868) pour 114,80 F de cadeaux. Pendant la même période elle à reçu 240 F de gages, les cadeaux divers représentent donc environ la moitié de ses gages.

 

On constate qu'a cette époque, les domestiques qui résident chez leur employeur font véritablement partie du foyer. Ils sont nourris, logés, très peu payés... et souvent avec beaucoup de retard « J'ai payé Jeannette pour tous courant mois de juin des trois mois écoulés 30 Francs. » 115.

L'écart des salaires entre un homme et une femme est considérable. Une servante comme Jeannette perçoit 10 F, la gouvernante Ursule 16 F, un domestique masculin comme Mauris 30 F, Lachat le journalier 1 F par jour. Il était prévu de donner 300 F par an à une nouvelle gouvernante venue de Lyon mais après quelques semaines d'essai elle ne restera pas sans que l'on en sache la raison.

Toute la domesticité bénéficie de cadeaux. Ce peut être une petite somme pour faire un voyage ou acheter du tabac ou quelques vêtements usés ou neufs. Parfois le colonel accorde un prêt, qui peut d'ailleurs être très important en regard du montant des gages. Les employés dépendent beaucoup de leur employeur, ce sont des relations paternalistes.

 

Les voyages

Le colonel possède à Alpignan (Piémont), près de Turin, une maison et une petite propriété où il se rend presque chaque année jusqu'en 1866. Il part en général en hiver et revient à Desingy pour la belle saison.

Au fil des ans, en fonction de l'évolution du réseau ferré son itinéraire pour s'y rendre n'est pas toujours le même.

En général il se rend par la diligence, prise à Rumilly ou à Seyssel, à Chambéry. De là il utilise le train116 jusqu'à Saint Jean de Maurienne où il prend l'impériale jusqu'à Suze, franchissant ainsi le col du Mont-Cenis, parfois dans des conditions difficiles. « Parti de Seyssel à 2 heures du matin par l'impériale payé 7 F l'intérieur arrivé à Chambéry à sept heures, ….. Parti à deux heures du soir pour Suze l'intérieur 28,60 F, arrivé à 6 heures , de là à Alpignan à 9 et demi après un séjour de deux heures et demie à Suze, par la 3ème payé deux francs.117 »118 Il faut généralement deux jours pour aller de Turin à Chambéry mais quelquefois il met beaucoup plus de temps, comme en juillet 1859, où tombé de la diligence du côté du Mt Cenis il mettra dix jours pour revenir en Savoie.

Outre de très nombreux voyages à Annecy le colonel part deux fois à Lyon, la première fois en août 1857 il veut sans doute essayer la toute nouvelle « route de fer » qui met Seyssel à 5 h 40 de Lyon : « Parti de Seyssel119 pour Lyon par la voie ferrée à 3h 20 de l'après midi, à Lyon à 9 heures » 120. On ne saura pas si le voyage en train lui a plu mais en tout cas il revient par le bateau. Son second voyage à Lyon en 1864, avec sa gouvernante, a pour objet d'équiper son château de Pelly.

Le colonel prend une fois le train pour se rendre à Bourg et Mâcon où il fait l'acquisition de plusieurs tonneaux.

Il se rend également à Genève à quatre reprises, en train également par Seyssel et Bellegarde, il faut croire que la route par le Malpas (Chaumont) était en bien mauvais état. En 1865 il revient par la route Genève-Annecy et s'arrête aux Bains de la Caille « J'ai passé 6 jours aux Bains de la Caille121 »122

Cette pratique des cures et des bains se développe à cette époque et le colonel comme son beau frère Bastian en sont de grands adeptes, ils vont ensemble en cure à Brides-les-Bains en août 1869. Le carnet cite également les bains d'Uriage où séjourne Bastian. Ce dernier mourra d'ailleurs alors qu'il prend les eaux à Vichy (Août 1872).

Pour ses petits déplacements, Claude Marie, n'oublions pas qu'il était colonel des chevau-légers, semble utiliser un cheval, toutefois il ne parle de déplacements à cheval qu'à deux reprises. Il est sûr qu'il marchait beaucoup : « Parti à minuit à mulet jusqu'à Vallières123, ensuite à pied pour Rumilly et de là à Choudy par l'omnibus »124 . Il explique par exemple qu'il est revenu à pied de Rumilly (17 km de Desingy), une autre fois qu'il revient des Plagnes « ...traversé toute la Chautagne125 en 4 heures. Dans la nuit arrivé à deux heures du matin harassé de fatigue »126 , ce qui semble possible à pied pour d'excellents marcheurs.

 

 

Le vigneron

Les propriétés de Vencières et de Châteaufort, produisent du vin qui est commercialisé. Le vignoble le plus apprécié étant celui de Châteaufort (Commune de Motz) en Chautagne avec son cru « Chantemerle ». Les récoltes sont irrégulières et le rendement peut varier du simple au double. Une bonne année on peut estimer la récolte à environ 200 barils soit environ 10 000 litres, dont la moitié produite en Chautagne.

Le vin se vend plutôt bien, les principaux clients sont les fermiers du colonel comme Georges à Chilly (1 000 litres en 1858-1859), la marquise du Vuache, le syndic Buttin (3 276 litres de 1857 à 1860), le cabaretier Mollat (5 148 litres de 1862 à 1866) et le curé de Desingy (3 300 litres de 1865 à 1869), etc. Charvet le fermier de Châteaufort, principal site de production équipé d'un cellier, trouve des clients et effectue des ventes de vin, notamment pendant l'absence du colonel.

A l'exception du vin vieux de bonne qualité qui plutôt rare se négocie deux fois plus cher, le vin se vend généralement de 17 F à 13 F le baril de 52 litres, soit un prix moyen d'environ 30 centimes par litre. On peut en conclure que le revenu tiré du vin est de l'ordre de 3 000 francs par an, c'est sans doute un maximum atteint par exemple en 1861 avant le partage entre les deux frères.

Le vin gâté se vend aussi mais à moitié prix.

Le colonel surveille son cellier et se rend plusieurs fois en Chautagne, à Châteaufort, pour transvaser son vin : « Parti pour la Chautagne pour transvaser les vins, faire conduire à la maison à … … de sa part pour l'année 1857, 13 barils et un quarteron. Vendu au fermier de Chilly 7 barils 4 quarterons à 16,50 F » 127. Il procède également régulièrement à des inventaires comme ce 19 novembre 1858 : « Je porte en Piémont deux mâconnaises 1857, une de rouge et une …. pièce Chantemerle de la même année. Il me reste une pièce de 1855 et une autre de 1856 de Vencières, toutes l.. plus une demie pièce de celui avariée (de) Châteaufort 1857, plus à Vencières (un) tonneau de 1857 contenant environ ...barils. »

A Alpignan le colonel a aussi une activité de vigneron, il envoie du vin de Savoie en Piémont mais à l'inverse il fait venir de l'eau-de-de-vie du Piémont. A plusieurs reprises Gustin achète des raisins d'Asti, dans le but, semble t il, de faire de l'eau-de-vie : « Gustin a payé pour 144 miglia de raisins à Villafranca près d'Asti à 25 sous le miglia qui font 180 F plus pour port et faux-frais 37 F, total 217 F » 128.

 

 

Alpignan

En 1861 Alpignan, située à l'entrée de Turin est une bourgade de 1862 habitants. Le colonel y effectue 8 séjours de 1857 à 1866. La durée habituelle est de 5 à 6 mois mais quelques séjours sont plus brefs comme celui du 8 mars 1857 au 1er mai 1857. Généralement il passait l'hiver à Alpignan et s'en trouvait bien « Ont été de printemps et non d'hiver tout ce mois ainsi que le précédent. »129 « Tout ce mois écoulé a été un printemps. »130. Le colonel tenait sûrement son carnet à Alpignan mais sauf pour son dernier séjour c'est-à-dire de décembre 1865 à juillet 1866 ce carnet a disparu. Bien qu'il ne l'écrive pas explicitement le colonel possédait là bas une résidence. Cette propriété était située en agglomération car il explique « J'ai payé avant-hier une liste de 70 F pour 7 chasseroues131 et répatrissage132 à la maison à toute la façade du côté de la rue. »133

L'ensemble que possédait le colonel à Alpignan se composait de deux bâtiments toujours existants aujourd'hui  (Via Pianezza). L'un, celui du côté rue, était un bâtiment d'habitation (200 m2 au sol et avec deux niveaux), l'autre une grange (environ 140 m2 au sol), l'ensemble du ténement avait une surface de 2133 m2. Dès avant 1855 il avait donné la nue-propriété de ses biens à Alpignan à Ursule et Gustin, la mère et le fils restant en indivision sur cet ensemble.  Par ailleurs, à la même époque Gustin était nue-propriétaire et sa mère usufruitière de divers terrains à Alpignan pour un total de 2 ha 17. On ne connaît pas l'origine de propriété de ces terrains mais ils permettaient sans doute d'effectuer quelques cultures.

Le colonel lorsqu'il s'absente d'Alpignan laisse toujours une somme pour le fonctionnement de la maison et pour les salaires. Une fois en Savoie, il envoie fréquemment depuis Seyssel des mandats pour la même raison ou pour des achats de raisins d'Asti.

On peut se demander si le colonel parlait l'italien. Je pense que oui; sa longue carrière dans les armées sardes, la tenue d'un fonction importante en Sardaigne134, ses séjours à Alpignan, ses fréquents échanges épistolaires avec Gustin (qui était piémontais) laisse penser qu'il maîtrisait un minimum la langue. Par ailleurs il avait une vie sociale à Alpignan et fréquentait la bonne société locale : « Nous avons été dîner à la Buffa chez le syndic Brunetti et hier dimanche chez Tonin Néro pour voir sa botanique. »135.

 

Le maire

Dès le début de 1861, le colonel est nommé maire de Desingy et le restera jusqu'à son décès. Cette nomination est peut être due à l'attitude très pro française de son beau-frère le chevalier Bastian qui aura peut être été consulté par le préfet. Il s'appuie sur un adjoint «  J'ai été installé maire136 et Lavenay adjoint. »137, Lavenay démissionnaire sera remplacé par Martin mais le colonel compte beaucoup sur le fidèle Pierre Clavel (1838-1907), secrétaire de mairie et régent (instituteur) à Desingy de 1861 à 1867.

Il n y a pas encore de véritable organisation administrative et probablement pas de bâtiment pour la mairie. Le colonel fait souvent l'avance d'argent nécessaire à l'achat des registres de l'état-civil.

Il rédige des rapports lors d’événements graves comme l'incendie du hameau de Clennaz ou celui de la maison Curioz à Etrables.

La plupart des actes de l'état-civil de 1861 à 1869 sont rédigés de la main du colonel, sauf de fin janvier 1861 à août 1861 où c'est son frère Colomban qui rédige les actes, alors que celui-ci n'est pas son adjoint, cette entorse à la réglementation française sera due à l'ignorance du colonel en la matière, en effet sous le régime sarde l'état-civil était tenu par le clergé et non par le syndic (maire).

En sa qualité de maire Claude-Marie participe régulièrement (obligatoirement ?) à la fête de l'empereur, sans beaucoup d'enthousiasme semble t il : « Fête de l'empereur comme à l'ordinaire Te Deum, boîtes138 et quelques douaniers. »139.

Il est également régulièrement présent à Seyssel lorsque se tient le conseil de révision ou le tirage au sort pour la conscription.

Il s'implique beaucoup dans le projet d'aménagement de la route Seyssel – Menthonnex (RD 17 actuellement).

 

 

Les lectures et les loisirs

Le colonel est un fidèle lecteur du « Courrier des Alpes », un journal catholique, royaliste et conservateur, néanmoins favorable à l'Annexion (sans doute à cause de son côté clérical). On le voit renouveler sans cesse son abonnement «J'ai renouvelé l'abonnement au « Courrier des Alpes » pour le premier trimestre » 140 et déplorer son interdiction par la censure en août 1859. Il reçoit alors le journal « Le bon sens » de même opinion...

Il s'abonne à Paris à quelques revues, notamment à « La ferme agricole » et au « Conseiller de la maison ».

Il s'abonne également au journal recommandé par son neveu Eugène, « l'Union savoisienne », journal religieux et monarchiste.

Le colonel est chasseur. Il parle peu de ses chasses mais on le voit acheter des plombs et offrir quelquefois du gibier : «  J'ai tué une perdrix à la Bachaila que j'ai donné au curé pour son dîner d'après demain. »141.

Il aime se baigner, et malgré son âge, il se baigne plusieurs fois par an dans les Usses. Il croit indiscutablement aux vertus thérapeutiques d'un bon bain.

Il fête régulièrement la Saint-Claude et la Saint-Laurent, il participe aux foires locales notamment celle de Mons.

Il part se promener, par exemple en Semine, avec les Lassalle ou Pierre Clavel : « J'ai été me promener dans l'après-midi en Semine jusqu'à franchir le Rhône. »142.

Les réceptions et invitations auxquelles il est convié sont nombreuses «J'ai été dîner à la Fléchère il y avait les Chaumontet143 et les dames Monfalcon » 144, « J'ai dîné à Doucy avec de belles dames. »145. il est invité aux contrats de mariage de ses neveux Eugène et Félix, aux mariages de tous ses neveux et nièces «Couché à Doucy, le lendemain aux noces de Cléonice » 146 

 

 

Le temps qu'il fait

Le colonel commente très souvent les événements climatiques qui lui semblent exceptionnels. Par exemple le 14 avril 1862 « Neige et tourmente de neige », le 30 mars 1864 « Froid et neige abondante », le 31 mars 1865 « neige toute la journée », le 24 mai 1867 « Il a neigé sur les fleurs », du 1er au 8 mars 1869 « Temps affreux, neige et glace ». Il évoque la chaleur précoce en avril et mai 1862, les très grosses chaleurs de juin et d'août 1861, la sécheresse exceptionnelle de juillet 1868, le très bel hiver en Piémont de décembre à mars 1866, « Ont été de printemps et non d'hiver tout ce mois ainsi que le précédent. »147 ,

Il ne manque jamais de signaler la première chute de neige sur le Grand Colombier qu'il peut voir depuis sa fenêtre, ainsi le 27 octobre 1861 « Première neige aux montagnes ».

Le vigneron se sent très concerné par les conditions climatiques « Mauvaise journée, orage, tonnerre et pluie affreuse. Le mois d'août a été mauvais et froid. Les raisins souffrent, le vin augmente. »148

 

 

La santé

Claude Marie relate ses ennuis de santé. Qu'il s'agisse de maux ordinaires comme un rhume ou une dysenterie «J'ai pris ces jours derniers un violent rhume par le prompt changement de température. »149 , ou de de troubles plus graves. Il se plaint souvent d'une oreille et de douleurs tenaces dans la jambe, dans les pieds : « La douleur muette, froide et pesante le long de l'os de la jambe gauche m'a commencé dimanche 7 courant et continue sans douleur cependant aucun à présent. »150.

Il consulte plusieurs médecins, à Chambéry, à Turin et Genève sans grand succès semble t il. Il faut dire que les médecines de l'époque ont de quoi effrayer. Il est souvent question de sangsues, de ricine, parfois d'emplâtre de farine de lin et même «consulté le docteur Carret qui m'a appliqué du corrosif payé 20 F »151  Les commentaires du colonel sur l'efficacité des médicaments sont négatifs : « J'ai pris avant hier la mane et aujourd'hui la ricine pour la toux d'inflammation qui fait peu d'effet »152 .

A la fin de sa vie c'est souvent le Dr Alexis Chatenoud de Frangy qui lui rend visite.

Il remercie largement les servantes qui le soignent pour le surplus de travail qu'il leur donne « J'ai payé Jeannette pour tout le courant mars 20 F deux mois et je lui ai donné 30 F en récompense des soins qu'elle m'a donné pendant ma ma maladie pour s'acheter une belle robe »153.

De novembre 1865 à avril 1866, alors qu'il se trouve à Alpignan, le colonel évoque quatre « séances » de sangsues mais qui concernent une dame car il dit « Elle s'est fait une opération de 8 sangsues. »154 , «Le médecin de Rivoli à fait des sangsues à madame au nombre de 11 »155, « Elle s'est faite hier une opération de 8 sangsues 4 F. »156. Peut être avait il une femme dans sa vie à Alpignan ? Il est très difficile d'en juger, il peut tout aussi bien s'agir de soins donnés à Ursule.

 

 

Les dépenses et les revenus

Le colonel effectue lui-même la plupart de ses achats. En particulier il fait de nombreuses dépenses liées à l'aménagement de sa résidence savoyarde à partir de 1864 : meubles divers, poële à bois, travaux de menuiseries, ustensiles de toutes sortes. D'une manière quasiment maniaque il note soigneusement ses dépenses et indique souvent le prix des denrées par unité de poids ou de longueur. Tous les vêtements, chaussures, et autres textiles sont généralement faits sur mesure, sauf mention particulière comme par exemple : « J'ai payé à la saint Martin pour douze essuie-mains à raies rouges tout faits 10,80 F, dix huit sous chaque »157. A chacun des ses voyages à Annecy, Rumilly ou Chambéry il revient avec des achats. Sur une seule année par exemple 1867, année passée entièrement en Savoie le montant de ses dépenses notées dans les carnet est de 2 062 F, que l'on peut ventiler ainsi, classées par ordre d'importance :

 

  • Impôts : 560 F (27,2%)

  • Salaires, y compris entreprises : 400 F (19,4%)

  • Réparation, aménagements, équipement de la maison : 370 F (17,9%)

  • Alimentation : 360 F (17,5%)

  • Cadeaux à des tiers :170 F (8,2%)

  • Frais médicaux : 70 F (3,4%)

  • Notaire : 62 F (3%)

  • Vêtements pour lui même : 50 F (2,4%)

  • Divers : 20 F (1%)

 

A noter qu'il n'a pas voyagé cette année 1867 mais qu'un simple aller-retour à Alpignan lui coutait plus de 70 F.

Ses revenus sont de trois sortes, la pension militaire de 2 250 F, les fermages estimés à 1 600 F et la vente de vin qui s'élève pour cette année qui est bonne à environ 1 600 F. Ces chiffres ne comprennent pas les dépenses et revenus en Piémont (environ 1 500 F de dépenses en Piémont).

Globalement les revenus de cette année (au moins 5 450 F) semblent largement suffisants pour couvrir les dépenses (de l'ordre de 3600 F).

 

 

L'expression des sentiments

Le colonel n'exprime pas ses sentiments, ou alors très peu. Il commente rarement les naissances, quatre seulement, et se contente de dire par exemple « Alix a eu sa troisième fille »158 .Il ne donne jamais aucun prénom de ses petits neveux et nièces même lorsqu'il en est le parrain !.

Il cite le décès de vingt-deux personnes mais même lorsqu'il s'agit d'un proche comme son neveu François Bastian ( 6/12/1865), sa nièce Caroline Bastian-Dunand ( 14/7/1866) « On a dit Caroline d'Eugène morte en couches à Menthon samedi 14 courant »159, ou son ami Prosper Croset «  Eugène m'a écrit la mort de Croset160. Ses funérailles ont eut lieu le 28 avant hier. »161, il en reste aux faits et ne fait aucun commentaire pour déplorer ces disparitions.

Il en va de même lorsqu'il évoque la maladie de proches,« Eugène162 est toujours pire et condamné par les médecins. »163.

Il est très probable que cette attitude, dénuée d'empathie, qui peut paraître aujourd'hui surprenante était le résultat d'une éducation assez spartiate qui n'incitait pas les hommes à exprimer leurs sentiments.

 

 Fait à Beaumont et Lyon par Jean Louis Sartre, 2015, révisé en 2016

 

1 Village voisin de Desingy.

 2 La Savoie dans la Révolution : avec les conventionnels Jean-Baptiste Carelli de Bassy, ci-devant comte de Cevins, baron de l'Empire, et Anthelme Marin / Paul Dufournet . Académie salésienne (Annecy). 1989.

 3 Source : Alberico lo faso di Serradifaco. Il contributo della savoia all'unita d'Italia.

 4 Lettre adressée à son beau-frère Bastian de Frangy(ADHS).

 5 Source : De Pelly (F. Fenouillet 1904), confirmé par le contenu du carnet.

 6 ADHS 3 U 13.

 7 Château de la Fléchère à Vanzy. Propriété Bastian.

 8 15 juin 1856.

 9 Voir annexe A2.

 1013 novembre 1858.

 1126 juillet 1866.

 129 juillet 1856.

 13 Zoé Marie Caroline De Gaymoz (1851-1876), originaire de Rumilly. Ils vont habiter le château de Lornay, restauré par le « papa Bastian » en 1867-1868.

 1428 décembre 1866.

 15 Son neveu Claude Bastian, capitaine au 49ème de Ligne à St Malo.

 162 octobre 1862.

 1726 octobre 1862.

 1830 mai 1856.

 19 C'est une marche importante d'environ 25 km, des Plagnes il est monté sur le Mont Clergeon par la Chambotte avant de redescendre en Chautagne et de dîner au cellier de Châteaufort (Motz)

 2012 avril 1864.

 2116 juin 1858.

 2218 octobre 1859.

 23 Elle avait loué à la commune de Desingy, la propriété des de Pelly, saisie par les révolutionnaires et dont la location avait été mise aux enchères.

 24 27 janvier 1857.

 25 Hameau de Rumilly. La mère du colonel était née de Savoiroux de Bracorens..

 26 François Joseph Jacquemard (1824-....), avoué, neveu du chevalier Bastian, conseil du colonel dans le partage.

 27 26 octobre 1858.

 28 9 novembre 1858. Louis Mermier, notaire à Frangy, frère de l'expert « Joson » Mermier.

 29 6 août 1859.

 30 13 juin 1861.

 31 2 septembre 1861.

 32 2 octobre 1861.

 33 Il est également le cousin germain de la mère de Jacquemard.

 34 François-Joseph Mermier (1785-1865), agriculteur à Vovray (Chaumont). Maire de Chaumont.

 3512 novembre 1861.

36 6 août 1862.

37 Il part le 21 décembre 1862.

38 25 octobre 1863.

 39 2 janvier 1864.

40 Joseph Convers, notaire à Seyssel (Ain) de 1845 à 1887.

 41 9 janvier 1864.

 42 L'acte de partage lui laissait la possibilité de résider à de Pelly jusqu'au 1 juillet 1864.

 43 20 novembre 1867.

 44 AD Ain. 3 E 14070, Joseph Convers, Notaire à Seyssel (Ain).

 45 6 octobre 1857.

 46 19 mai 1858.

 47 29 septembre 1858.

 48 21 octobre 1858.

49 30 septembre 1863.

 50 Joannès Lassalle (1836-1884), demi frère de Louis et Philippe Lassalle.

 51 10 août 1866.

 52 18 septembre 1862.

 53 Pyrimont, en amont de Seyssel sur la rive droite du Rhône. Ils étaient probablement à pied puisqu'il ont pris le train pour revenir sur Seyssel.

 54 9 octobre 1862.

 5525 juin 1867.

 56 Antoine Perret né à Chilly (1824-1913) vicaire au Grand-Bornand dont il deviendra curé en 1868.

 57 9 décembre 1861.

 58 Les Balmes 74150, Sales. Tout près de Rumilly à l'est du Chéran. Belle propriété toujours existante.

 59 18 mai 1857.

 60 Il pourrait s'agir de Fanny Royer de Loche (1840-1921) épouse de Paul Dubois-Aymé (1825-1901), inspecteur des douanes. Le père de ce dernier Joseph Dubois-Aymé (1779-1846) était député de l'Isère, égyptologue puis directeur des douanes.

 61 28 octobre 1868.

 62 Joson Mauris (1789-1866) cousin germain du colonel, capitaine en retraite, habite 17 rue Ste Claire à Annecy. ADHS 6 M 114.

 63 26 juin 1857.

 64 Cerale et Villarey deux généraux de division tués lors de cette bataille perdue par les italiens.

 65 1er duc d'Aoste (1845-1890) et roi d'Espagne, second fils du roi d'Italie Victor-Emmanuel II, il fut roi d'Espagne pendant deux ans avec le nom d'Amédée Ier. Il était à la tête des grenadiers de Lombardie lors de cette bataille.

 66 Lettres des 28 décembre 1866, 13 février 1867 et 22 juin 1867.

 67 22 juin 1858.

 68 16 septembre 1858.

 69 Dubois et Petit sont des inspecteurs de la douane.

 70 7 juin 1869.

 71 Le conseil de fabrique était chargé de gérer les biens matériels de la paroisse (mobilier, ornements, etc...).

 72 4 août 1867.

 73 Sans doute un fromage.

74 Chausson aux poires Besson, spécialité savoyarde faites en hiver.

 75 Claudine et Marie sont les deux domestiques de la cure.

 76 25 décembre 1867.

 77 Les gages d'une servante sont d'environ 10 F par mois.

78 29 décembre 1868. Pour les servantes de la cure il s'agit d'un véritable treizième mois !

79 26 avril 1868.

80 12 janvier 1861.

 81 Les missionnaires de St François de Sales, fondés par le père Mermier (1790-1862), un frère de « Joson Mermier », effectuaient des missions dans les villages qui se terminaient presque toujours par l'édification d'une croix placée dans un carrefour de chemins ou au cimetière.

 82 15 septembre 1861.

 83 4 avril 1862.

 84 Il faut croire qu'il était possible « d'acheter » le droit de manger gras pendant le carême !.

 85 5 avril 1865.

86 24 août 1860.

 87 Abdul-Mejid 1er (1823- 25 juin 1861), sultan de Turquie depuis 1839, soutenu par la France notamment dans la guerre de Crimée.

 8830 juin 1861.

 8925 juin 1861.

 90 Au total, de juillet 1856 à décembre 1868, Gustin écrit à son employeur 45 fois. Il en recevra 10 réponses sans compter les envois de mandats. 

 91 Octobre 1856.

 92 6 septembre 1859.

 93 24 septembre 1858.

 94 3 mai 1862.

 95« Vaglia », mot italien , à le sens de « volonté ».

 96 28 mars 1866.

 97 En principe un frac est un vêtement chic : Une variante de la queue-de-pie, le frac est souvent utilisée. Cet habit se termine par des basques en pointe comme la queue-de-pie, mais n'est pas court devant. La veste se prolonge simplement jusqu'aux pointes.

 98 12 juillet 1866.

99 14 juillet 1859.

 100 30 octobre 1856. Environ 4 000 litres.

 101 30 septembre 1857.

 102 8 octobre 1860

 103 30 juin 1861.

 104 1 juillet 1861.

105 4 novembre 1863.

106 Marigny-Saint Marcel est une commune qui jouxte Rumilly.

 107 29 novembre 1861.

 108 22 décembre 1861.

 109 9 juillet 1861.U

 110 13 août 1865. Avril 1867. Décembre 1867 et Octobre 1868.

 111 Visite de Théophile Clavel, frère de Pierre Clavel et également instituteur, en décembre 1867.

 112 1 janvier 1867.

113 29 mars 1867.

 114 1 mars 1869.

 115 28 juin 1867.

 116 Une nouveauté puisque le chemin de fer entre Choudy (Aix-les-Bains) et Saint Jean de Maurienne a été inaugurée le 20 octobre 1856.

117 C'est un voyage de 225 km environ qui dure 31h 30 en tout y compris les temps d'attente en correspondance. Il faut 5 h pour faire les 50 premiers kilomètres (Seyssel-Chambéry) avec l'impériale, 16 h pour relier Chambéry à Suse (131 km) avec le train et l'impériale et 1h pour faire les 40 derniers kilomètres entre Suse et Alpignan en train.

118 9 décembre 1857.

 119 Le train n'arrivait à Seyssel que depuis le 7 mai de la même année.

 120 19 août 1857.

 121 Sous le pont de la Caille, entre Genève et Annecy. Eaux sulfureuses à 24°. A l'état de ruines aujourd'hui.

 122 Vers le 12 juillet 1865.

 123 A 4 km au nord de Rumilly.

 124 8 mars 1857. Choudy était la gare d'Aix-les-bains.

 125 Environ 15 km.

 126 15 juillet 1856.

 127 8 juin 1858.

 128 8 novembre 1857.

 129 31 janvier 1866.

 130 28 février 1866.

 131 Il s'agit généralement de pierres dressées de part et d'autre d'un porche d'entrée pour éviter que les véhicules heurtent les montant du porche.

 132 Crépissage.

 133 5 juin 1866.

 134 Gouverneur par intérim en 1839 ?.

 135 28 mai 1866.

 136 Le colonel de Pelly sera maire de 1861 jusqu'à son décès. C'est à tort que Félix Fenouillet indique dans sa monographie de Desingy (1907) que Colomban-Félix fût maire de l'annexion à 1863. On constate cependant que Colomban Félix rédige les actes de décès et naissance du 29 janvier 1861 jusqu'au 27 août 1861 pendant l'absence du colonel et même un peu au delà puisque celui-ci revint du Piémont vers le 10 juin 1861.

Le prédécesseur du colonel était le syndic Jacques Buttin, du hameau de Planaz (Desingy). Il retrouva son siège de maire en 1871.

 137 6 janvier 1861.

 138 Feux d'artifice.

 139 15 août 1863.

 140 20 novembre 1863.

 141 14 septembre 1858.

 142 27 août 1861.

 143 Notables de Frangy, apparenté aux Bastian. La mère du papa Bastian était une Chaumontet.

 144 13 novembre 1865.

145 13 juillet 1862.

 146 22 juin 1862.

 147 31 janvier 1866.

 148 1 septembre 1860.

 149 23 août 1863.

 150 20 décembre 1856.

 151 10 février 1867.

 152 12 mai 1866.

 153 29 mars 1867.

 154 10 décembre 1865.

 155 19 décembre 1865.

 156 1 mai 1866.

 157 12 novembre 1868.

 158 30 mars 1864.

 159 14 juillet 1866.

 160 Prosper Croset (1792-1868), son ami, notaire à Annecy.

 161 1 mai 1868.

 162 Il s'agit de son neveu Eugène Bastian, qui malgré un pronostic le condamnant survivra jusqu'en 1896.

 163 15 août 1857.